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trembler ; ils me soutinrent tous trois que je vous avois grièvement offensé : l’un[1], parce que cet animal étoit immonde ; l’autre[2], parce qu’il étoit étouffé ; l’autre enfin[3], parce qu’il n’étoit pas poisson. Un brachmane qui passoit par là, et que je pris pour juge, me dit : Ils ont tort, car apparemment vous n’avez pas tué vous-même cet animal. Si fait, lui dis-je. Ah ! vous avez commis une action abominable, et que Dieu ne vous pardonnera jamais, me dit-il d’une voix sévère : que savez-vous si l’âme de votre père n’étoit pas passée dans cette bête ? Toutes ces choses, Seigneur, me jettent dans un embarras inconcevable : je ne puis remuer la tête que je ne sois menacé de vous offenser ; cependant je voudrois vous plaire et employer à cela la vie que je tiens de vous. Je ne sais si je me trompe ; mais je crois que le meilleur moyen pour y parvenir est de vivre en bon citoyen dans la société où vous m’avez fait naître, et en bon père dans la famille que vous m’avez donnée.

À Paris, le 8 de la lune de Chahban, 1713.

LETTRE xlvii.

Zachi à Usbek.
À Paris.


J’ai une grande nouvelle à t’apprendre : je me suis réconciliée avec Zéphis ; le sérail, partagé

  1. Un Juif.
  2. Un Turc.
  3. Un Arménien.