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LETTRE xlv.

RICA À USBEK.
À ***.


Hier matin, comme j’étois au lit, j’entendis frapper rudement à ma porte, qui fut soudain ouverte ou enfoncée par un homme avec qui j’avois lié quelque société, et qui me parut tout hors de lui-même.

Son habillement étoit beaucoup plus que modeste, sa perruque de travers n’avoit pas même été peignée ; il n’avoit pas eu le temps de faire recoudre son pourpoint noir, et il avoit renoncé, pour ce jour-là, aux sages précautions avec lesquelles il avoit coutume de déguiser le délabrement de son équipage.

Levez-vous, me dit-il ; j’ai besoin de vous tout aujourd’hui ; j’ai mille emplettes à faire, et je serai bien aise que ce soit avec vous : il faut premièrement que nous allions à la rue Saint-Honoré parler à un notaire qui est chargé de vendre une terre de cinq cent mille livres ; je veux qu’il m’en donne la préférence. En venant ici, je me suis arrêté un moment au faubourg Saint-Germain, où j’ai loué un hôtel deux mille écus, et j’espère passer le contrat aujourd’hui.

Dès que je fus habillé, ou peu s’en falloit, mon homme me fit précipitamment descendre : Commençons par aller acheter un carrosse, et établissons l’équipage. En effet, nous achetâmes