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le trouvais réel dans les horreurs de cet affreux sommeil.

Il faudra donc, dis-je en me levant, que je fuie également les ténèbres et la lumière ! Thémire, la cruelle Thémire m’agite comme les furies. Qui l’eût cru, que mon bonheur serait de l’oublier pour jamais !

Un accès de fureur me reprit : Ami, m’écriai-je, lève-toi. Allons exterminer les troupeaux qui paissent dans cette prairie : poursuivons ces bergers dont les amours sont si paisibles. Mais non : je vois de loin un temple ; c’est peut-être celui de l’Amour : allons le détruire, allons briser sa statue, et lui rendre nos fureurs redoutables. Nous courûmes, et il semblait que l’ardeur de commettre un crime nous donnât des forces nouvelles : nous traversâmes les bois, les prés, les guérets ; nous ne fûmes pas arrêtés un instant : une colline s’élevait en vain, nous y montâmes ; nous entrâmes dans le temple : il était consacré à Bacchus. Que la puissance des dieux est grande ! Notre fureur fut aussitôt calmée. Nous nous regardâmes, et nous vîmes avec surprise le désordre où nous étions.

Grand Dieu ! m’écriai-je, je te rends moins grâces d’avoir apaisé ma fureur, que de m’avoir