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je crus être au milieu des enfers : mon âme fut embrasée, et, dans sa violence, tout mon corps la contenait à peine : j’étais si agité, qu’il me semblait que je tournais sous le fouet des Furies. Nous nous abandonnâmes à nos transports ; nous fîmes cent fois le tour de cet antre épouvantable : nous allions de la Jalousie à la Fureur, et de la Fureur à la Jalousie : nous criions, Thémire ! nous criions, Camille ! Si Thémire ou Camille était venue, nous l’aurions déchirée de nos propres mains.

Enfin nous trouvâmes la lumière du jour ; elle nous parut importune, et nous regrettâmes presque l’antre affreux que nous avions quitté. Nous tombâmes de lassitude ; et ce repos même nous parut insupportable. Nos yeux nous refusèrent des larmes, et notre cœur ne put plus former de soupirs.

Je fus pourtant un moment tranquille : le sommeil commençait à verser sur moi ses doux pavots. Ô dieux ! ce sommeil même devint cruel. J’y voyais des images plus terribles pour moi que les pâles ombres : je me réveillais à chaque instant sur une infidélité de Thémire ; je la voyais… Non, je n’ose encore le dire ; et ce que j’imaginais seulement pendant la veille, je