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amans. Ils te diront qu’ils t’aiment : et ils diront vrai ; ils te diront qu’ils t’aiment autant que moi : mais je jure par les dieux que je t’aime davantage.

Quand je l’aperçois de loin, mon esprit s’égare : elle approche, et mon cœur s’agite : j’arrive auprès d’elle, et il semble que mon âme veut me quitter, que cette âme est à Camille, et qu’elle va l’animer.

Quelquefois je veux lui dérober une faveur ; elle me la refuse, et dans un instant elle m’en accorde une autre. Ce n’est point un artifice : combattue par sa pudeur et son amour, elle voudrait me tout refuser, elle voudrait pouvoir me tout accorder.

Elle me dit : Ne vous suffit-il pas que je vous aime ? Que pouvez-vous désirer après mon cœur ? Je désire, lui dis-je, que tu fasses pour moi une faute que l’amour fait faire, et que le grand amour justifie.

Camille, si je cesse un jour de t’aimer, puisse la Parque se tromper, et prendre ce jour pour le dernier de mes jours ! Puisse-t-elle effacer le reste d’une vie que je trouverais déplorable, quand je me souviendrais des plaisirs que j’ai eus en aimant !

Aristée soupira et se tut ; et je vis bien qu’il ne cessa de parler de Camille que pour penser à elle.