Page:Montesquieu - Histoire véritable, éd. Bordes de Fortage, 1902.djvu/93

Cette page a été validée par deux contributeurs.
69
HISTOIRE VÉRITABLE


je vis les nouveaux bâtimens qu’on y élevoit. Je sentois que je m’y intéressois, et que j’étois bien aise que les hommes eussent une si belle demeure de plus.

Un homme qui revenoit d’Asie, me parloit de la magnificence de Persépolis. Les idées riantes, grandes et belles que j’en prenois, produisoient une sensation agréable dans mon âme. J’étois bien aise que ce beau lieu subsistât sur la terre ; sans que je l’eusse vu, il m’avoit déjà fait passer des momens heureux.

Comme les Dieux habitent les temples et chérissent ces demeures sans perdre leur amour pour le reste de l’univers, je croyois que les hommes, attachés à leur patrie, devoient étendre leur bienveillance sur toutes les créatures qui peuvent connoître, et qui sont capables d’aimer.

Si j’avois sçu quelque chose qui m’eût été utile, et qui eût été préjudiciable à ma famille, je l’aurois rejeté de mon esprit ; si j’avois sçu quelque chose, utile à ma famille, et qui ne l’eût pas été à ma patrie, j’aurois cherché à l’oublier ; si j’avois sçu quelque chose, utile à ma patrie, et qui eût été préjudiciable à l’Europe, ou qui eût été utile à l’Europe, et préjudiciable au genre humain, je l’aurois regardée comme un crime[1].

  1. Cette phrase, insérée presque sans changement par Montesquieu dans ses Pensées, a été publiée, sous la dernière forme que lui avoit donnée son auteur dans l’édition Laboulaye. L’édition bien plus complète des Pensées publiée par la Société des bibliophiles de Guyenne, en donne deux versions écrites à des dates différentes. (T. I, p. 15.)