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HISTOIRE VÉRITABLE


Roi étant sur le point de partir pour une expédition, un prodige heureux arriva à Memphis, et on en rapporta un autre de Saïs qui fut jugé malheureux. Dans cette incertitude, on consulta divers oracles, et ils se trouvèrent aussi peu d’accord que les prodiges. On interrogea les prêtres, et, chacun d’eux faisant valoir son opinion, ils jetèrent le Roi dans une perplexité plus grande. Jugés-en, puisqu’il eut recours à moy qui étois étranger. « Seigneur, luy dis-je, les hommes ne sont point faits pour connoître les volontés particulières des Dieux, mais pour sçavoir leurs volontés générales. Ils désirent que vous ne fassiés point de guerre injuste, et que vous n’employiés la puissance qu’ils vous ont donnée que comme ils feroient eux-mêmes, s’ils l’avoient retenue. — Mais les entreprises les plus justes, dit le Roi, peuvent ne pas réussir, et un oracle reçu à propos peut nous en détourner. — Si les Dieux, répondis-je, vouloient vous détruire, ils seroient insensés de vous révéler leurs desseins. Ils sont assez prudens pour garder leurs secrets. C’est vous qui vous asservissés à ce que vous appelés des prodiges, et non pas eux. » — Comme il ne sortoit pas de son incertitude, j’ajoutay : « L’irrésolution a tous les effets de la timidité, et elle en a d’ailleurs de pires. Les Dieux vous ont donné des armées, et vous avés, sans doute, de la prudence et du courage ; ce sont les oracles qu’il faut consulter. »

Les anciens Rois avoient accablé leurs peuples par la construction de leurs pyramides. Celui-cy voulut suivre leur exemple. Je lui dis : « Seigneur, une