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MONTESQUIEU


manquent jamais de tourner contre elle[1]. Dans la dernière maladie de ce Prince, j’avois le cerveau si troublé que je ne sçavois plus ce que je faisois, et je ne doute point que je ne luy aye fait passer le pas deux mois trop tôt.

Il n’est rien dont je ne me sois avisé dans toutes ces différentes vies. Dans celle-cy, je fis un livre ; mon ouvrage eut un grand succès, et non pas moy. J’avois de l’esprit, et, avant cela, on me jugeoit propre à tout ; mais lorsque j’eus fixé le jugement du public sur un talent particulier, on ne me jugea plus propre à rien.

J’avois été jusque là ami de tout le monde. Mais bientôt j’eus une infinité de rivaux et d’ennemis qui ne m’avoient jamais vu, et que je n’avois jamais vus aussi. Il me fut impossible de me réconcilier avec tous ces gens là.

On vouloit m’avoir dans les sociétés, et on me donnoit l’employ d’y être agréable, ce qui m’affligeoit beaucoup. On ne vouloit jamais que je disse une sottise, quoique tous ceux qui étoient autour de moy prissent d’étranges libertés à cet égard.

D’un autre côté, il y avoit des caillettes qui disoient qu’elles me fuyoient, parce que j’étois un bel esprit. Elles vouloient, par là, faire entendre que j’avois de l’affectation et elles du naturel, et qu’elles auroient eu plus d’esprit que moy, si elles avoient voulu en avoir.

Des gens soutenoient que je n’avois pas fait mon

  1. La phrase est encore légèrement biffée.