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MONTESQUIEU


ordonné de dire à ses femmes, ni ce qu’elles avoient répondu ; de façon, qu’après bien des allées et des venues, il falloit toujours qu’il s’éclaircît par luy même, et elles s’en trouvoient fort bien.

J’étois si propre à distraire du sérieux de l’obéissance et du commandement, que tout le monde m’aimoit, et ces concubines, qui ne cessoient de se chamailler sur toute autre chose, étoient toujours d’accord sur mon sujet.

Un jour, que j’étois malade, je vis que toutes ces femmes pleuroient, et mon maître en fut si chagrin, qu’il fit donner, pour rien, cinquante coups de bâton à deux de ses plus fidèles esclaves, et il rebroua (sic) si bien deux officiers subalternes qui, par malheur, eurent à faire à luy ce jour là, qu’ils se crurent perdus.

Dans une autre transmigration, mon visage étoit difforme et mon corps contrefait. Ces malheurs n’étoient pas grands, ils le devinrent. J’épousay une femme très jolie. Je l’aimois et un million de défauts ne pouvoient la rendre désagréable à mes yeux. Un jour, je la surpris avec un de ses amans, dans l’infidélité la plus marquée. Ils restèrent tous deux dans l’étonnement et dans le silence, et moy aussi. Le lendemain, comme j’ouvris la bouche pour luy parler : « Voilà comme vous êtes, me dit-elle ; si l’on a tort un jour avec vous, c’en est assez pour vous faire oublier les complaisances de toute une vie. Ne voulés vous pas encore me parler de l’affront que vous me fîtes hier ? Tenés, monsieur, il ne tiendroit qu’à vous de me trouver une femme adorable, si vous