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MONTESQUIEU


Androclide… mais sa femme le fait enrager ; il a d’ailleurs la goutte. Lysimaque… il est trop ennuyeux quand il raconte son ambassade à Thèbes… » — Je ne sçavois ce que cela vouloit dire, je ne me trouvois point heureux, et cependant je ne pouvois consentir à changer ma personne contre celle de qui que ce fût. — « Il y a quelque chose là dessous, dis-je en moy-même ! » — Et, après y avoir bien refléchi, je découvris un grand secret : c’est que les Dieux donnent à chaque homme un amour dominant pour sa propre personne et pour la condition des autres, et avec cela ils gouvernent l’univers.

Comme les idées des choses que je vous raconte, Ayesda, n’ont point été liées aux traces du cerveau que j’ay présentement, mais sont, par la volonté des Dieux, présentes à mon âme, sans moyen, je m’en souviens à merveille, pendant que j’ay la mémoire du monde la plus malheureuse sur les choses qui, par la voie des organes, affectent mon âme dans cette transmigration cy.

Dans ma vie suivante, je négligeay extrêmement mes affaires, et, ce qui vous surprendra, je les négligeay pour les affaires publiques. Vous vous imaginerés peut-être que j’étois ministre de quelque Prince. Non ! et, si je l’avois été, je ne me serois pas tant donné de soins. Je n’avois ni charge ni employ, mais je sçavois m’occuper. Je vivois en Égypte dans une connoissance profonde des intérêts des divers états dont elle étoit composée. J’étudiois les vues des Princes, et aucun de leurs desseins ne m’échappoit. Cecy, comme vous croyés bien, ne pouvoit se