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LIVRE IV[1]




Dans cette vie cy, je me plaignis tant et si longtems de mon sort, que mon Génie, perdant patience, m’apparut et me dit : — « Il y a longtems que tu m’importunes. Veux-tu que, selon le pouvoir que j’en ay reçu du destin, je te métamorphose tout à l’heure en quelque autre homme ? — C’est selon l’homme, répondis-je tout étonné. — Eh bien ! veux tu être Achéménidas, le Roi de ton pays ? — Ah ! Divin Génie, il est si décrépit que je n’aurois pas deux mois à vivre ! — Veux-tu être le jeune Cléon ? — Non ! il est trop sot ! — Veux-tu donc être Eucrate ? — C’est le plus ridicule de tous les hommes ! — Damasippe ? — Encore moins ! — Tu seras donc le riche Démostrate ? — C’est un avare, répondis-je, qui se laisse mourir de faim. — Nomme moy donc quelqu’un ; mais prends garde à ce que tu diras, car je te transformeray sans miséricorde. — Attendés, dis-je, un moment, s’il vous plaît ! — Le philosophe Anthistène ? — Non, c’est un homme chagrin ! — Anthistène, soit ! repartit le génie en haussant la voix. — Un instant, repris-je, laissés moy penser encore !

  1. Ce livre était tout d’abord le cinquième ; mais ce dernier mot a été biffé et remplacé par le chiffre 4.