Page:Montesquieu - Histoire véritable, éd. Bordes de Fortage, 1902.djvu/67

Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
HISTOIRE VÉRITABLE


passée. Aussi garday-je mes premiers airs ; je parus toujours sûr de moy-même, je ne doutay de rien. Il couroit dans le monde des histoires de mes aventures ; elles parloient pour moy ; il est vray qu’une femme n’avoit pas longtems la tête tournée, et que, lorsqu’elle avoit bien reconnu le terrain, elle aimoit autant travailler à établir la réputation de quelqu’autre, que jouir de la mienne.

Mon Génie, voyant qu’il m’avoit manqué trois fois, jugea qu’il n’y avoit pas moyen de faire un homme de moy. Je fus donc encore enveloppé dans les organes d’une femme.

Je me mariay en Macédoine. Le Roi ayant déclaré la guerre à un de ses voisins, nos maris partirent, et nous crûmes qu’il étoit du bon air de nous affliger. Des gens disoient : « En vérité, c’est une chose bien nécessaire que des hommes à ces femmes là ! Mais comment ces gens, si regrettés pendant la guerre, étoient-ils si ennuyeux pendant la paix ? » Mais moy je sçay bien que celuy que je regrettois ne m’ennuyoit point. C’étoit un jeune homme très joli, neveu d’un vieux mari à moy, et je lui avois déjà donné la succession de l’oncle, car le bonhomme jouissoit très peu de son bien. Le petit garçon, en partant, m’avoit fait les adieux du monde les plus propres à le faire regretter. Jugés si j’étois affligée, surtout quand on a un bon cœur ! Mon mari revint, mais le jeune homme n’étoit pas encore arrivé. Le pauvre garçon, il avoit tant souffert ! La joye rentra dans la maison, et mon mari, qui avoit pris ma tristesse pour des froideurs, prit ma vivacité pour un