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MONTESQUIEU


trouvois à la désespérer une satisfaction plus exquise ; un sentiment nouveau, qui tenoit du désespoir, de l’amour et de la haine, me faisoit chercher à venger mon état sur celle qui l’avoit rendu plus malheureux.

J’aimois à la voir pâlir à ma présence[1], dépendre de mes regards, craindre ou se rassurer sur les mouvemens de mon visage, flotter au gré de mes caprices et n’être plus occupée que de ce qui pouvoit me déplaire, ou de ce qui pouvoit me calmer.

J’aimois à la voir dans les momens où, entre les prières et les excuses, les promesses et les larmes, le silence et les soupirs, elle tentoit ma clémence, incertaine et confuse entre la grâce et les châtimens.

J’aimois à la voir, dans cette humiliation éternelle, ne pouvoir plus former de pensée qui ne lui fît connaître sa dépendance, réduite à envier le sort de toutes ses rivales et peut-être le mien[2].

Mais les plaisirs qui viennent du désespoir y ramènent toujours, mes ennuis renaissoient et, ce qui me les faisoit encore plus sentir, j’avois toujours devant les yeux un homme heureux[3].

  1. Montesquieu avait écrit d’abord : « à mon approche. »
  2. Montesquieu a biffé l’alinéa suivant :

    « J’aimois à employer l’artifice pour lui faire dévoiler tout le fonds de son âme ; ses esclaves et ses compagnes, que j’avois gagnées, la faisoient parler, pendant qu’à tous ses discours (un mot illisible) je prêtois, du lieu où j’étois caché, une oreille attentive. »

  3. Ici se terminent les 10 pages qui, dans le manuscrit, sont tout entières de la main même de Montesquieu. — V. Lettres persanes : IX, le premier eunuque à Ibbi.