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MONTESQUIEU


par devoir, la mener dans ses bras, et, lorsque je la voyois, empressée, ignorer que je la conduisois, et voler devant moy, quand, sur ce lit terrible, je l’entendois murmurer ses amours, je souffrois un tourment plus cruel que mille morts.

Je la tirois du lit pour la mener dans l’appartement des bains. Ô Dieux ! elle ne me parloit que de ses plaisirs.

Mon amour[1] s’indigna et ma jalousie s’aigrit. Je ne trouvay plus de plaisir qu’à lui oter ce cœur qui la rendoit si vaine. Je l’éloignay, peu à peu, des yeux de mon maître. Je produisois sans cesse de nouvelles rivales. Chaque jour vit diminuer sa faveur, et enfin elle entra dans l’oubli. Ses plaintes, ses prières, ses larmes, furent ignorées par mes soins. Je n’en étois pas moins malheureux, et, quand je me demandois pourquoy j’avois tant travaillé, et si je n’étois pas toujours ce même homme, rejeté par l’amour, malheureux par état, et destiné au mépris de tout ce qui peut aimer, je ne sçavois que me répondre, mes tristes succès et mes fausses joyes s’évanouissoient devant moy.

Combien de fois, dans le cours de mes intrigues, mon cœur s’étoit-il attendri ? Quand je la voyois reconnaître la main qui la faisoit descendre, me peindre ses ennuis, me confier ses larmes, espérer tout de leur secours, mon esprit irrésolu avançoit sans dessein ou reculoit son ouvrage ; je balançois entre la jalousie et la pitié.

  1. Ici commencent les dix pages qui, dans le manuscrit, sont tout entières de la main même de Montesquieu.