Page:Montesquieu - Histoire véritable, éd. Bordes de Fortage, 1902.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.


LIVRE III




Je vous avoue que je fus bien étonné quand je fus femme pour la première fois, et, ce qui me rendit la chose plus touchante, c’est que je commencay par être une femme de vingt-cinq ans. Une autre de cet âge ayant perdu l’esprit, mon Génie obligea mon âme d’aller remplacer la sienne, et il me fallut prendre ce corps là. J’étois dans un état de langueur, mais, peu à peu, mes forces revinrent, et je me ranimay à la vue de quelques rubans et d’un miroir que je vis sur une toilette. Un jeune homme, qui vint me dire que depuis longtemps il m’aimoit, et qui vouloit même me le prouver par de certaines libertés qu’il avoit, disoit-il, coutume de prendre avec moy, me fit tant de plaisir que je n’ay jamais été si charmée.

Je vous avoue que je ne laissay pas d’être embarrassée dans le rôle nouveau que j’avois à jouer. À peine eus-je animé ma machine deux jours, que j’entendis dire que j’étois, depuis longtemps, brouillée avec tout mon voisinage, que j’avois tenu de certains discours de quelques femmes, que j’avois eu de mauvais procédés avec d’autres, et deux hommes juroient qu’ils se vengeroient de moy et m’insulteroient partout où ils me trouveroient.