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MONTESQUIEU


je redisois ce que je venois de dire, ou je reprenois quelques vieilles histoires ou certains propos familiers. Je donnois des raisons du petit nombre de gens aimables dans l’âge présent, je comparois les débauchés anciens avec les débauchés modernes ; je trouvois les premiers plus forts et les seconds plus affadis par la galanterie ; je me plaignois de l’éducation prise dans les ruelles et de la proscription des cabarets.

Mon Génie, mécontent de moy, me fit redevenir bête ; il ne me donna d’abord qu’un intestin, et je fus un animal vorace ; il voulut ensuite que je broutasse l’herbe, et je nacquis cheval.

À l’âge de sept ans, je quittay la prairie, et j’aiday à traîner un char dans les rues d’Ecbatane. Chose admirable ! Mon maître n’avoit rien à faire depuis le matin jusqu’au soir, et je mourois de fatigue à son service. Il me menoit avec une vitesse incroyable, comme si toute la ville l’avoit attendu, et il me ramenoit du même train dans un autre lieu, où il étoit tout aussi inutile. Tout fuyoit devant moy, ceux même qui m’avoient évité avoient peine à le croire, et mon étourdi rioit de bon cœur. Son triomphe, c’étoit les embarras ; il se rendoit d’abord maître du terrain, et sa voix étoit si forte qu’on n’entendoit que luy ; sa colère et ses juremens augmentoient avec les obstacles, et, quand il s’étoit fait faire place, il ne sçavoit plus où il vouloit aller.

Je n’espérois de sortir de ses mains que lorsque je lui aurois fait rompre le cou. Mais, un beau jour, je fus saisi par ses créanciers, et un vieux usurier