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HISTOIRE VÉRITABLE


des gens ne voient sur votre corps que de petites écailles, mais moy, qui vous regarde de plus près, et qui vous connois mieux, j’y aperçois des montagnes couvertes de diamants, de perles et de rubis. »

Je suis fou, mon cher Ayesda, de prendre un style figuré dans une narration qui doit être simple. Si je continuois sur ce ton, vous auriés raison de dire que je cours après l’esprit.

Dans cette vie cy, je formay moy-même mon caractère. J’avois l’esprit un peu lourd, mais je remarquay, comme par instinct, que les sots qui avoient de la pesanteur étoient toujours dans l’admiration des sots qui avoient de la vivacité, et que ceux cy, au contraire, méprisoient beaucoup les autres. Cela me détermina à travailler à changer d’espèce, je fis des efforts continuels pour tirer de mon cerveau quelque chose, et, n’y réussissant pas bien, je me contentay de parler, laissant mes pensées bien loin à la suite de mes paroles. Il y a même des hazards heureux, et il n’étoit pas possible que, jetant sans cesse mes propos comme trois dez, je n’amenasse quelquefois. Je donnay à ma machine plus de mouvement, et je la transportay partout où elle pourroit être regardée. Je saluois de toutes parts ; j’embrassois à droite et à gauche ; je tournois et me précipitois sur moy-même, et enfin, j’obtins l’étourderie qui me manquoit, outre que je me donnay de la gayeté, en faisant des éclats de rire à chaque propos : ce qui en augmentoit l’agrément, à peu près comme un instrument de musique ajoute à la voix qui l’accompagne ; cela faisoit un de ces