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HISTOIRE VÉRITABLE


marques de ses bons procédés. Vous seriés étonné si je vous disois mes prodiges lorsque j’entreprenois de hâter une libéralité tardive. J’avois toujours eu pour maxime de commencer par faire connoître ce que je valois. Je n’ignorois pas que les femmes sont trop avares pour se ruiner avec de certains amans, et que, si les hommes les quittent par caprice, elles ne quittent guère les hommes que par raison.

Je cherchay donc à consoler le beau sexe de la perte de ses agrémens. Je soutins sa décadence et j’honoray ses rides. Là où les autres finissoient leurs hommages, il me vit commencer les miens, et je n’ay point à me plaindre de sa reconnaissance, mais seulement d’une certaine équité, qui fit tellement dépendre la récompense des services, qu’elle finit avec eux.

Quand les dieux, mon cher Ayesda, veulent purifier une âme, ils la font successivement passer d’un bon animal dans un meilleur, et, lorsqu’elle est enfermée dans les corps humains, et qu’elle doit finir sa course, ils la mènent d’une vie où elle reçoit quelques impressions de la vertu, à une autre où elle en prend davantage, et je vous avoue ingénuement que, si c’étoit vers la vertu que je tendois après tant de voyages, je n’étois guère avancé.

Je nacquis, et, dans mon enfance, ma nourrice m’ayant laissé endormi sous un arbre, elle trouva, à son retour, que des abeilles avoient couvert mes lèvres de miel. On dit que j’avois de petites mains douces comme du velours, des sourcils argentés et des yeux qui se tournoient tout doucement du côté