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MONTESQUIEU


modeste sont toujours jugés à la rigueur, et l’impudence, qui est obligée de donner une amnistie à l’impudence, a la ressource de s’élever contre la timidité, qui est toujours désarmée. Sur ces entrefaites, un de mes parens mourut, et je recueillis une très riche succession. Je pris la résolution d’aller être honnête homme dans quelque autre société, et je fis ce métier là quelque tems. C’est le sublime de la friponnerie de sçavoir faire entrer la probité dans son art.

Je vous avoue, Ayesda, que, dans cette transmigration dont je vous parle, je chargeay un peu trop mon caractère. J’ai remarqué que pour bien réussir dans le monde, il faut être seulement sot à demi et à demi fripon. Par là on s’ajuste avec tout le monde, car on aboutit par quatre côtés aux sots, aux gens d’esprit, aux fripons et aux honnêtes gens.

Dans ma vie suivante, j’avois une taille médiocre, des cheveux blonds, une figure mâle et de larges épaules. Je fus l’amant de cinq ou six vieilles femmes et d’autant de monstres plus jeunes. Dans le commencement de ma carrière, je la trouvay rude. Mais, par un prodige de l’habitude et une certaine force du méchanisme, je m’accoutumay à la vieillesse et à la laideur, et je parvins au point que la beauté même auroit fait sur moy moins d’impressions ; car l’idée d’une femme charmante ne réveilloit plus, dans mon esprit, que celle de l’indigence. Je ne me piquois point de sentimens ; on les admire, on les rend même, mais on ne les paye pas. Au lieu que je voulois qu’une femme vît toujours dans mes équipages, dans mes habits et dans ma façon de jouer, des