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MONTESQUIEU


que de ce qui se passe dans ma transmigration présente, et je pense que vous ne doutés pas que je ne sois actuellement un homme de bien.

Étant né à Messène, je me mariay. Je pris une femme jeune, jolie, coquette, et qui donnoit mon amitié à tous les jeunes gens qui entroient chez moy. Je devins jaloux. Pour me guérir, elle me fit voir, à n’en pouvoir plus douter, que j’avois raison de l’être. Dès ce moment, je ne le fus plus, et nous vécûmes de la meilleure intelligence du monde.

Devenu veuf, je me mariay à une femme qui avoit été belle, et qui prétendoit que je fusse amoureux d’elle parce qu’elle avoit eu autrefois beaucoup d’amans. Je pris une maîtresse, et je disois que je l’entretenois parce que je la payois bien. Mais je trouvay qu’elle, de son côté, entretenoit un homme de guerre ; cet homme de guerre, une prêtresse d’Apollon ; cette prêtresse, un joueur de flûte ; ce joueur de flûte, une courtisane ; et cette courtisane, un laquais. Je fis, d’un seul coup, tomber tous ces ménages. Par le crédit de ma première femme, j’avois été maltôtier du Roi de Corinthe. Les grands venoient manger chez moy, et j’étois précisément de l’impertinence qu’il leur falloit. Je fis mal mes affaires ; on me destitua, et, dès que je ne pus plus être voleur, tout le monde se mit à crier que j’étois un fripon.

Une nouvelle métamorphose donna à Sicyone un très mauvais poëte. Je n’ay, dans aucune de mes transmigrations, porté un habit si usé que dans celle là. Je passay ma misérable vie à mordre les