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LIVRE II




Il auroit été à souhaiter, lorsque je devins homme, que j’eusse eu autant de vertu que lorsque j’étois une si grosse bête. Mais je ne me trouvay plus la même tranquillité d’esprit, ni cette liberté de raisonnement, cette sagesse et cette prudence que j’avois eues. Au contraire, j’étois plein de passions, de caprices et de contretems.

Mon entrée dans le monde ne fut pas heureuse, car, à l’âge de dix huit ans, je fus pendu. J’en dirois bien la cause, mais je passe légèrement sur cela. Suffit que je me comportay très bien, et que, dans tout le chemin, on louoit beaucoup ma contenance. « En vérité, dit un artisan, il a de l’honneur dans son fait ! » — « Je suis, disoit un autre, un homme d’habitude. Il y a trente ans que j’assiste régulièrement à ces sortes d’assemblées, mais je n’ay jamais vu d’homme qui s’en soit mieux sorti que celui-cy. »

Je vous dis, mon cher Ayesda, des choses que je pourrois bien vous cacher ; mais ayant continuellement changé, je ne me regarde pas comme un individu. J’ay été très souvent fripon, assez rarement honnête homme. C’est la faute de l’humanité plus que la mienne, et, d’ailleurs, je crois ne devoir répondre