Page:Montesquieu - Histoire véritable, éd. Bordes de Fortage, 1902.djvu/29

Cette page a été validée par deux contributeurs.
5
HISTOIRE VÉRITABLE

Un jour, j’allay me poster près d’un vieux bonze qui tenoit, depuis quinze ans, les bras en l’air ; à peine eus-je été deux heures dans cette posture que j’y renonçay.

Je voulus entreprendre de regarder le soleil ; mais je fermois les yeux, ou je tournois la tête, ou je portois la main au visage, et l’on ne me donnoit rien.

Je vis une troupe de ces faquirs qui, pour être plus parfaits, se rendent insensibles, et attachent à la partie la plus rebelle un poids qui puisse la vaincre. Je voulus rester parmy eux. Ils m’accablèrent d’un anneau de fer de huit livres, que je trainay misérablement pendant deux jours.

M’apercevant que, dans ce métier, la condition du valet est meilleure que celle du maître, je me mis encore une fois au service d’un philosophe célèbre, qui me fit le ministre en chef de ses mortifications. Nous n’eûmes aucun démêlé quand il ne fut question que de luy. Il trouvoit en moy un écorcheur parfait et un cuisinier impitoyable.

Un jour, il s’enferma dans un petit caveau où il étoit obligé de se tenir couché. Il ne respiroit que par un petit trou, et une lampe achevoit de l’étouffer. Il résolut d’y demeurer six jours sans boire et sans manger. Comme cette action nous attiroit des aumônes, je l’encourageois cruellement, et, quand il étoit sur le point de finir ses six jours, je lui dis faussement qu’un autre en devoit rester neuf, et je l’obligeay, par mes mensonges, mes exhortations et mes railleries, à se tenir dans son poste encore trois jours.