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XII
INTRODUCTION

qui s’attache aux productions qui peuvent éclairer l’évolution des idées et les progrès du talent chez les grands écrivains, suffirait à recommander cet essai de jeunesse pour lequel Montesquieu semble avoir eu une prédilection particulière, puisqu’il y fit plusieurs retouches plus tard, et, probablement même, dans la pleine maturité de son génie. D’ailleurs, si les Lettres persanes gardent encore comme une saveur du xviie siècle, ne peut-on pas affirmer qu’avec l’Histoire véritable, Montesquieu inaugure ce roman ou plutôt ce conte satirique et philosophique si goûté pendant toute la durée du xviiie siècle, et que Voltaire allait bientôt porter à sa perfection ?

L’auteur de l’Histoire véritable employait à la lecture tous les instants de loisir que lui laissaient ses occupations professionnelles, ses affaires et ses propres ouvrages. Il s’intéressait aux romans qui faisaient quelque bruit. Les réflexions qu’il a consignées, dans ses pensées[1], au sujet de Manon Lescaut, qu’il lut au moment de son apparition, et sur laquelle il formule déjà ce jugement ferme et sûr qu’il portait sur toute chose, nous en donneraient une preuve certaine, si son goût pour les fictions ne se trahissait en maints endroits de ses œuvres, et par un certain nombre de ces œuvres elles-mêmes. Il lut certainement les Mille et une Nuits traduites ou plutôt adaptées par Galland[2], avec quel tact et quelle délicatesse, nous le savons aujourd’hui que nous possédons dans leur intégrité les récits de la sultane Shéhérazade. Il lui en resta le goût de l’Orient qu’il conserva toute sa vie, si bien qu’en ses derniers jours, c’est encore au fond de l’Orient qu’il plaçait les aventures d’Arsace. Nous savons, par une de ses dernières lettres adressée de La Brède, le 8 décembre 1754, à son spirituel correspondant l’abbé de Guasco, qu’il s’occupait

  1. Pensées et fragments inédits, t. II, p. 61. Montesquieu a pris soin de mentionner qu’il fit cette lecture le 6 avril 1734.
  2. Leur publication, commencée en 1703, ne fut achevée qu’en 1711. V. au surplus Pensées, II, 108.