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CHAPITRE XXIX.

Des hôpitaux.


UN homme n’est pas pauvre parce qu’il n’a rien, mais parce qu’il ne travaille pas. Celui qui n’a aucun bien & qui travaille, est aussi à son aise que celui qui a cent écus de revenu sans travailler. Celui qui n’a rien, & qui a un métier, n’est pas plus pauvre que celui qui a dix arpens de terre en propre, & qui doit les travailler pour subsister. L’ouvrier qui a donné à ses enfans son art pour héritage, leur a laissé un bien qui s’est multiplié à proportion de leur nombre. Il n’en est pas de même de celui qui a dix arpens de fonds pour vivre, & qui les partage à ses enfans.

Dans les pays de commerce, où beaucoup de gens n’ont que leur art, l’état est souvent obligé de pourvoir aux besoins des vieillards, des malades & des orphelins. Un état bien policé tire cette subsistance du fonds des arts mêmes ; il donne aux uns les travaux dont ils sont capables ; il enseigne les autres à travailler, ce qui fait déjà un travail.

Quelques aumônes que l’on fait à un homme nud, dans les rues, ne remplissent point les obligations de l’état, qui doit à tous les citoyens une subsistance assurée, la nourriture, un vêtement convenable, & un genre de vie qui ne soit point contraire à la santé.

Aureng-Zebe, à qui on demandoit pourquoi il ne bâtissoit point d’hôpitaux, dit[1] : "Je rendrai mon empire si riche, qu’il n’aura pas besoin d’hôpitaux." Il auroit fallu dire : Je commencerai par rendre mon empire riche, & je bâtirai des hôpitaux.

Les richesses d’un état supposent beaucoup d’industrie. Il n’est pas possible que, dans un si grand nom-


  1. Voyez Chardin, voyage de Perse, tome 8.