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réciproquement ces deux nations de la somme de cent mille marcs : mais la France devroit toujours dix mille marcs en Espagne, & les Espagnols auroient toujours des lettres sur la France pour dix mille marcs ; & la France n’en auroit point du tout sur l’Espagne.

Que si la Hollande étoit dans un cas contraire avec la France, & que, pour solde, elle lui dût 10000 marcs, la France pourroit payer l’Espagne de deux manieres, ou en donnant à ses créanciers en Espagne des lettres sur ses débiteurs de Hollande pour 10000 marcs, ou bien en envoyant 10000 marcs d’argent en espece en Espagne.

Il suit de-là que, quand un état a besoin de remettre une somme d’argent dans un autre pays, il est indifférent, par la nature de la chose, que l’on y voiture de l’argent, ou que l’on prenne des lettres de change. L’avantage de ces deux manieres de payer dépend uniquement des circonstances actuelles : il faudra voir ce qui, dans ce moment, donnera plus de gros en Hollande, ou l’argent porté en especes[1], ou une lettre sur la Hollande de pareille somme.

Lorsque même titre & même poids d’argent en France me rendent même poids & même titre d’argent en Hollande, on dit que le change est au pair. Dans l’état actuel des monnoies[2], le pair est, à peu près, à cinquante-quatre gros par écu : lorsque le change sera au-dessus de cinquante-quatre gros, on dira qu’il est haut ; lorsqu’il sera au-dessous, on dira qu’il est bas.

Pour sçavoir si, dans une certaine situation du change, l’état gagne ou perd, il faut le considérer comme débiteur, comme créancier, comme vendeur, comme acheteur. Lorsque le change est plus bas que le pair, il perd comme débiteur, il gagne comme créancier ; il perd comme acheteur, il gagne comme vendeur. On sent bien qu’il perd comme débiteur : par exemple, la France devant à la Hollande un certain nombre de gros, moins son écu vaudra de gros, plus il lui faudra d’écus


  1. Les fraix de la voiture & de l’assurance déduits.
  2. En 1744.