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leur positive : elle est fixée par l’estime la plus générale des négocians, & ne peut l’être par l’ordonnance du prince ; parce qu’elle varie sans cesse, & dépend de mille circonstances.

Pour fixer la valeur relative, les diverses nations se régleront beaucoup sur celle qui a le plus d’argent. Si elle a autant d’argent que toutes les autres ensemble, il faudra bien que chacune aille se mesurer avec elle ; ce qui fera qu’elles se régleront, à peu près, entre elles comme elles se sont mesurées avec la nation principale.

Dans l’état actuel de l’univers, c’est la Hollande[1] qui est cette nation dont nous parlons. Examinons le change par rapport à elle.

Il y a, en Hollande, une monnoie qu’on appelle un florin : le florin vaut vingt sous, ou quarante demi sous, ou gros. Pour simplifier les idées, imaginons qu’il n'y ait point de florins en Hollande, & qu’il n’y ait que des gros : un homme qui aura mille florins aura quarante mille gros ; ainsi du reste. Or, le change avec la Hollande consiste à sçavoir combien vaudra de gros chaque piece de monnoie des autres pays ; &, comme l’on compte ordinairement en France par écus de trois livres, le change demandera combien un écu de trois livres vaudra de gros. Si le change est à cinquante-quatre, l’écu de trois livres vaudra cinquante-quatre gros ; s’il est à soixante, il vaudra soixante gros ; si l’argent est rare en France, l’écu de trois livres vaudra plus de gros ; s’il est en abondance, il vaudra moins de gros.

Cette rareté ou cette abondance, d’où résulte la mutation du change, n’est pas la rareté ou l’abondance réelle ; c’est une rareté ou une abondance relative : par exemple, quand la France a plus besoin d’avoir des fonds en Hollande, que les Hollandois n’ont besoin d’en avoir en France, l’argent est appellé commun en France, & rare en Hollande ; & vice versâ.


  1. Les Hollandois reglent le change de presque toute l’Europe, par une espece de délibération entre eux, selon qu’il convient à leur intérêts.