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Une loi doit avoir son effet, et il ne faut pas permettre d’y déroger par une convention particulière.

La loi Falcidie ordonnait, chez les Romains, que l’héritier eût toujours la quatrième partie de l’hérédité : une autre loi permit au testateur de défendre à l’héritier de retenir cette quatrième partie : c’est se jouer des lois. La loi Falcidie devenait inutile : car, si le testateur voulait favoriser son héritier, celui-ci n’avait pas besoin de la loi Falcidie ; et s’il ne voulait pas le favoriser, il lui défendait de se servir de la loi Falcidie.

Il faut prendre garde que les lois soient conçues de manière qu’elles ne choquent point la nature des choses. Dans la proscription du prince d’Orange, Philippe Il promet à celui qui le tuera de donner à lui, ou à ses héritiers, vingt-cinq mille écus et la noblesse ; et cela en parole de roi, et comme serviteur de Dieu. La noblesse promise pour une telle action ! une telle action ordonnée en qualité de serviteur de Dieu ! Tout cela renverse également les idées de l’honneur, celles de la morale, et celles de la religion.

il est rare qu’il faille défendre une chose qui n’est pas mauvaise, sous prétexte de quelque perfection qu’on imagine.

Il faut dans les lois une certaine candeur. Faites pour punir la méchanceté des hommes, elles doivent avoir elles-mêmes la plus grande innocence. On peut voir dans la loi des Wisigoths cette requête ridicule, par laquelle on fit obliger les juifs à manger toutes les choses apprêtées avec du cochon, pourvu qu’ils ne mangeassent pas du cochon même. C’était une grande cruauté : on les soumettait à une loi contraire à la leur ; on ne leur laissait garder de la leur que ce qui pouvait être un signe pour les reconnaître.