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suites, l’appel, tel qu’il est établi par les lois romaines et par les lois canoniques, c’est-à-dire à un tribunal supérieur, pour faire réformer le jugement d’un autre, étoit inconnu en France.

Une nation guerrière, uniquement gouvernée par le point d’honneur, ne connaissoit pas cette forme de procéder ; et, suivant toujours le même esprit, elle prenoit contre les juges les voies qu’elle auroit pu employer contre les parties.

L’appel, chez cette nation, étoit un défi à un combat par armes, qui devoit se terminer par le sang ; et non pas cette invitation à une querelle de plume qu’on ne connut qu’après.

Aussi saint Louis dit-il, dans ses Établissements, que l’appel contient félonie et iniquité. Aussi Beaumanoir nous dit-il que, si un homme vouloit se plaindre de quelque attentat commis contre lui par son seigneur, il devoit lui dénoncer qu’il abandonnoit son fief ; après quoi il l’appeloit devant son seigneur suzerain, et offroit les gages de bataille. De même, le seigneur renonçoit à l’hommage, s’il appeloit son homme devant le comte.

Appeler son seigneur de faux jugement, c’étoit dire que son jugement avoit été faussement et méchamment rendu : or, avancer de telles paroles contre son seigneur, c’étoit commettre une espèce de crime de félonie.

Ainsi, au lieu d’appeler pour faux jugement le seigneur qui établissoit et régloit le tribunal, on appeloit les pairs qui formoient le tribunal même ; on évitoit par là le