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même, eussent eu souvent des affaires, elles auroient été décidées par les lois de ces peuples ; et un grand nombre de jugements, conformes à quelques-unes de ces lois, auroit dû introduire dans le pays de nouveaux usages. Et cela explique bien la constitution de Pépin. Il étoit naturel que ces usages pussent affecter les Francs mêmes du lieu, dans les cas qui n’étoient point décidés par la loi salique ; mais il ne l’étoit pas qu’ils pussent prévaloir sur la loi salique.

Ainsi il y avoit dans chaque lieu une loi dominante, et des usages reçus qui servoient de supplément à la loi dominante, lorsqu’ils ne la choquoient pas.

Il pouvoit même arriver qu’ils servissent de supplément à une loi qui n’étoit point territoriale ; et, pour suivre le même exemple si, dans un lieu où la loi salique étoit territoriale, un Bourguignon étoit jugé par la loi des Bourguignons, et que le cas ne se trouvât pas dans le texte de cette loi, il ne faut pas douter que l’on ne jugeât suivant la coutume du lieu.

Du temps du roi Pépin, les coutumes qui s’étoient formées avoient moins de force que les lois ; mais bientôt les coutumes détruisirent les lois : et, comme les nouveaux règlements sont toujours des remèdes qui indiquent un mal présent, on peut croire que, du temps de Pépin, on commençoit déjà à préférer les coutumes aux lois.

Ce que j’ai dit explique comment le droit romain commença, dès les premiers temps, à devenir une loi territoriale, comme on le voit dans l’édit de Pistes ; et comment la loi gothe ne laissa pas d’y être encore en usage, comme il paraît par le synode de Troyes dont j’ai parlé. La loi romaine étoit devenue la loi personnelle générale, et la loi gothe la loi personnelle particulière ; et par conséquent la loi romaine étoit la loi territoriale. Mais comment l’ignorance fit-elle tomber partout les lois personnelles des peuples barbares, tan-