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vernement, qu’ils craignent l’établissement d’une autre religion. Chez les Japonois, où il y a plusieurs sectes, & où l’état a eu fi long-temps un chef ecclésiastique, on ne dispute jamais sur la religion (a). Il en est de même chez les Siamois {b). Les Calmouks font plus ; ils se font une affaire de conscience de souffrir toutes fortes de religions (c). A Calicuth, c’est une maxime d’état, que toute religion est bonne (d). Mais il n’en résulte pas qu’une religion apportée d’un pays très-éloigné, & totalement différent de climat, de loix, de mœurs & de manières, ait tout le succès que sa sainteté devroit lui promettre. Cela est sur-tout vrai dans les grands empires despotiques : on tolère d’abord les étrangers, parce qu’on ne fait point d’atten- tion à ce qui ne paroît pas blesser la puissance du prince ; on y est dans une ignorance extrême de tout. Un Eu- ropéen peut se rendre agréable par de certaines con- noissances qu’il procure : cela est bon pour les com- mencemens ; mais, sitôt que l’on a quelque succès, que quelque dispute s’élève, que les gens qui peuvent avoir quelque intérêt sont avertis ; comme cet état, par sa nature, demande sur-tout la tranquillité, & que le moin- dre trouble peut le renverser, on proscrit d’abord la religion nouvelle & ceux qui l’annoncent : les disputes entre ceux qui prêchent venant à éclater, on commence à se dégoûter d’une religion, dont ceux qui la propo- sent ne conviennent pas.

(a) Voyez Kempfer. (b) Mémoires du comte de Forbin. (c) Hist. des Tattars, part. V. (d) Voyage de François Pyrard, chap. XXVII.