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CHAPITRE XII. Des loix pénales.

IL faut éviter les loix pénales en fait de religion. Elles impriment de la crainte, il est vrai : mais, comme la religion a ses loix pénales aussi qui inspirent de la crainte, l’une est effacée par l’autre. Entre ces deux craintes différentes, les âmes deviennent atroces. La religion a de si grandes menaces, elle a de si grandes promesses, que lorsqu’elles sont présentes à no- tre esprit, quelque chose que le magistrat puisse faire pour nous contraindre à la quitter, il semble qu’on ne nous laisse rien quand on nous l’ôte, & qu’on ne nous ôte rien lorsqu’on nous la laisse. Ce n’est donc pas en remplissant l’ame de ce grand objet, en l’approchant du moment où il lui doit être d’une plus grande importance, que l’on parvient à l’en détacher : il est plus sur d’attaquer une religion par la faveur, par les commodités de la vie, par l’espérance de la fortune ; non pas par ce qui avertit, mais par ce qui fait qu’on l’oublie ; non pas par ce qui indigne, mais par ce qui jette dans la tiédeur, lorsque d’autres passions agissent sur nos âmes, & que celles que la re- ligion inspire sont dans le silence. Règle générale : en fait de changement de religion, les invitations font plus fortes que les peines. Le caractere de l’esprit humain a paru dans l’ordre même des peines qu’on a employées. Que l’on se rap- pelle les persécutions du Japon (a) ; on se révolta plus contre les supplices cruels que contre les peines lon- gues, qui lassent plus qu’elles n’effarouchent, qui sont plus

(a} Voyez le recueil des voyages qui ont servi à l’établissement de la compagnie des Indes, tom. V, part. I, pag. 192.