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la divinité de l’humiliation où les autres l’avoient mise. Nous regardons l’idolâtrie comme la religion des peuples grossiers ; & la religion qui a pour objet un être spirituel, comme celle des peuples éclairés.

Quand, avec l’idée d’un être spirituel suprême, qui forme le dogme, nous pouvons joindre encore des idées sensibles qui entrent dans le culte, cela nous donne un grand attachement pour la religion ; parce que les motifs dont nous venons de parler se trouvent joints à notre penchant naturel pour les choses sensibles. Aussi les catholiques, qui ont plus de cette sorte de culte que les protestans, sont-ils plus invinciblement attachés à leur religion, que les protestans ne le sont à la leur, & plus zélés pour sa propagation.

Lorsque le peuple d’Ephese eut appris que les peres du concile avoient décidé qu’on pouvoit appeller la vierge mere de dieu, il fut transporté de joie, il baisoit les mains des évêques, il embrassoit leurs genoux ; tout retentissoit d’acclamations[1].

Quand une religion intellectuelle nous donne encore l’idée d’un choix fait par la divinité, & d’une distinction de ceux qui la professent d’avec ceux qui ne la professent pas, cela nous attache beaucoup à cette religion. Les mahométans ne seroient pas si bons musulmans, si, d’un côté, il n’y avoit pas de peuples idolâtres, qui leur font penser qu’ils sont les vengeurs de l’unité de dieu ; &, de l’autre, des chrétiens, pour leur faire croire qu’ils font l’objet de ses préférences.

Une religion chargée de beaucoup de pratiques[2] attache plus à elle qu’une autre qui l’est moins ; on tient beaucoup aux chofes dont on est continuellement occupé : témoin l’obstination tenace des mahométans & des juifs ; & la facilité qu’ont de changer de religion les peuples barbares & sauvages, qui, uniquement oc-

  1. Lettre de S. Cyrille.
  2. Ceci n’est point contradictoire avec ce que j’ai dit au chapitre pénultieme du livre précèdent : ici, je parle des motifs d’attachement pour une religion ; & là, des moyens de la rendre plus générale.