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aucun moyen de les terminer ou de les prévenir, la religion établit des temps de paix ou de treves, pour que le peuple puisse faire les choses sans lesquelles l’état ne pourroit subsister, comme les semailles & les travaux pareils.

Chaque année, pendant quatre mois, toute hostilité cessoit entre les tribus Arabes[1] : le moindre trouble eût été une impiété. Quand chaque seigneur faisoit, en France, la guerre ou la paix, la religion donna des trêves qui devoient avoir lieu dans de certaines saisons.


CHAPITRE XVII.

Continuation du même sujet.


LORSQU’IL y a beaucoup de sujets de haine dans un état, il faut que la religion donne beaucoup de moyens de réconciliation. Les Arabes, peuple brigand, se faisoient souvent des injures & des injustices, Mahomet fit cette loi[2] : "Si quelqu’un pardonne le sang de son frère[3], il pourra poursuivre le malfaicteur pour des dommages & intérêts : mais celui qui fera tort au méchant, après avoir reçu satisfaction de lui, souffrira au jour du jugement des tourmens douloureux."

Chez les Germains, on héritoit des haines & des inimitiés de ses proches : mais elles n’étoient pas éternelles. On expioit l’homicide en donnant une certaine quantité de bétail, & toute la famille recevoit la satisfaction : chose très-utile, dit Tacite[4], parce que les inimitiés sont très-dangereuses chez un peuple libre. Je crois bien que les ministres de la religion, qui avoient

  1. Voyez Prideaux, vie de Mahomet, pag. 64.
  2. Dans l’alcoran, liv. I, chap. de la vache.
  3. En renonçant à la loi du talion.
  4. De morib. Germ.