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cœur, pouvoit avoir des crimes inexpiables : mais une religion qui enveloppe toutes les passions ; qui n’est pas plus jalouse des actions que des desirs & des pensées ; qui ne nous tient point attachés par quelques chaînes, mais par un nombre innombrable de fils ; qui laisse derrière elle la justice humaine, & commence une autre justice ; qui est faite pour mener sans cesse du repentir à l’amour, & de l’amour au repentir ; qui met entre le juge & le criminel un grand médiateur, entre le juste & le médiateur un grand juge ; une telle religion ne doit point avoir de crimes inexpiables. Mais, quoiqu’elle donne des craintes & des espérances à tous, elle fait assez sentir que, s’il n’y a point de crime qui, par sa nature, soit inexpiable, toute une vie peut l’être ; qu’il seroit très-dangereux de tourmenter sans cesse la miséricorde par de nouveaux crimes & de nouvelles expiations ; qu’inquiets sur les anciennes dettes, jamais quittes envers le seigneur, nous devons craindre d’en contracter de nouvelles, de combler la mesure, d’aller jusqu’au terme où la bonté paternelle finit.


CHAPITRE XIV.

Comment la force de la religion s’applique à celle des loix civiles.


COMME la religion & les loix civiles doivent tendre principalement à rendre les hommes bons citoyens, on voit que, lorsqu’une des deux s’écartera de ce but, l’autre y doit tendre davantage : moins la religion sera réprimante, plus les loix civiles doivent réprimer.

Ainsi, au Japon, la religion dominante n’ayant presque point de dogmes, & ne proposant point de paradis ni d’enfer, les loix, pour y suppléer, ont été faites avec une sévérité, & exécutées avec une ponctualité extraordinaires.

Lorsque la religion établit le dogme de la nécessité