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du gouvernement, & qui doivent en modifier les loix. Les circonstances qui viennent de la nature du pays sont de deux sortes ; les unes ont rapport au climat, les autres au terrein. Personne ne doute que le climat n’influe sur la disposition habituelle des corps, & par conséquent sur les caracteres ; c’est pourquoi les loix doivent se conformer au physique du climat dans les choses indifférentes, & au contraire le combattre dans les effets vicieux : ainsi, dans les pays où l’usage du vin est nuisible, c’est une très-bonne loi que celle qui l’interdit : dans les pays où la chaleur du climat porte à la paresse, c’est une très-bonne loi que celle qui encourage au travail. Le gouvernement peut donc corriger les effets du climat : & cela suffit pour mettre l’Esprit des loix à couvert du reproche très-injuste qu’on lui a fait d’attribuer tout au froid & à la chaleur ; car, outre que la chaleur & le froid ne sont pas la seule chose par laquelle les climats soient distingués, il seroit aussi absurde de nier certains effets du climat, que de vouloir lui attribuer tout.

L’usage des esclaves, établi dans les pays chauds de l’Asie & de l’Amérique, & réprouvé dans les climats tempérés de l’Europe, donne sujet à l’auteur de traiter de l’esclavage civil. Les hommes n’ayant pas plus de droit sur la liberté que sur la vie les uns des autres, il s’ensuit que l’esclavage, généralement parlant, est contre la loi naturelle. En effet, le droit d’esclavage ne peut venir ni de la guerre, puisqu’il ne pourroit être alors fondé que sur le rachat de la vie, & qu’il n’y a plus de droit sur la vie de ceux qui n’attaquent plus ; ni de la vente qu’un homme fait de lui-même à un autre, puisque tout citoyen étant redevable de sa vie à l’état, lui est, à plus forte raison, redevable de sa liberté, & par conséquent n’est pas le maître de la vendre. D’ailleurs, quel seroit le prix de cette vente ? Ce ne peut être l’argent donné au vendeur, puisqu’au