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un ennemi. C’est une très-bonne institution que celle d’une partie publique qui se charge, au nom de l’état, de poursuivre les crimes ; & qui ait toute l’utilité des délateurs, sans en avoir les vils intérêts, les inconvéniens & l’infamie.

La grandeur des impôts doit être en proportion directe avec la liberté. Ainsi, dans les démocraties, ils peuvent être plus grands qu’ailleurs, sans être onéreux, parce que chaque citoyen les regarde comme un tribut qu’il se paie à lui même, & qui assure la tranquillité & le sort de chaque membre. De plus, dans un état démocratique, l’emploi infidele des deniers publics est plus difficile ; parce qu’il est plus aisé de le connoître & de le punir, le dépositaire en devant compte, pour ainsi dire, au premier citoyen qui l’exige.

Dans quelque gouvernement que ce soit, l’espece de tributs la moins onéreuse est celle qui est établie sur les marchandises, parce que le citoyen paie sans s’en appercevoir. La quantité excessive de troupes en temps de paix n’est qu’un prétexte pour charger le peuple d’impôts, un moyen d’énerver l’état, & un instrument de servitude. La régie des tributs, qui en fait rentrer le produit en entier dans le fisc public, est sans comparaison moins à charge au peuple, & par conséquent plus avantageuse, lorsqu’elle peut avoir lieu, que la ferme de ces mêmes tributs, qui laisse toujours entre les mains de quelques particuliers une partie des revenus de l’état. Tout est perdu sur-tout (ce sont ici les termes de l’auteur) lorsque la profession de traitant, devient honorables ; & elle le devient dès que le luxe est en vigueur. Laisser quelques hommes se nourrir de la substance publique pour les dépouiller à leur tour, comme on l’a autrefois pratiqué dans certains états, c’est réparer une injustice par une autre, & faire deux maux au lieu d’un.

Venons maintenant, avec M. de Montesquieu, aux circonstances particulieres indépendantes de la nature