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mentale du gouvernement des anciens Germains, que les affaires peu importantes y étoient décidées par les chefs, & que les grandes étoient portées au tribunal de la nation, après avoir auparavant été agitées par les chefs. M. de Montesquieu n’examine point si les Anglois jouissent, ou non, de cette extrême liberté politique que leur constitution leur donne : il lui suffit qu’elle soit établie par leurs loix. Il est encore plus éloigné de vouloir faire la satyre des autres états : il croit, au contraire, que l’excès, même dans le bien, n’est pas toujours desirable ; que la liberté extrême à ses inconvéniens, comme l’extrême servitude ; & qu’en général la nature humaine s’accommode mieux d’un état moyen.

La liberté politique, considérée par rapport au citoyen, consiste dans la sûreté où il est, à l’abri des loix ; ou, du moins, dans l’opinion de cette sûreté, qui fait qu’un citoyen n’en craint point un autre. C’est principalement par la nature & la proportion des peines, que cette liberté s’établit, ou se détruit. Les crimes contre la religion doivent être punis par la privation des biens que la religion procure ; les crimes contre les mœurs, par la honte ; les crimes contre la tranquillité publique, par la prison ou l’exil ; les crimes contre la sûreté, par les supplices. Les écrits doivent être moins punis que les actions ; jamais les simples pensées ne doivent l’être. Accusations non juridiques, espions, lettres anonymes, toutes ces ressources de la tyrannie, également honteuses à ceux qui en sont l’instrument & à ceux qui s’en servent, doivent être proscrites dans un bon gouvernement monarchique. Il n’est permis d’accuser qu’en face de la loi, qui punit toujours l’accusé ou le calomniateur. Dans tout autre cas, ceux qui gouvernent doivent dire, avec l’empereur Constance : Nous ne sçaurions soupçonner celui à qui il a manqué un accusateur, lorsqu’il ne lui manquoit pas