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humain sont, comme les traités entre nos princes, une semence continuelle de divisions. L’intérêt, le besoin & le plaisir ont rapproché les hommes. Mais ces mêmes motifs les poussent sans cesse à vouloir jouir des avantages de la société, sans en porter les charges ; c’est en ce sens qu’on peut dire, avec l’auteur, que les hommes, dès qu’ils sont en société, sont en état de guerre. Car la guerre suppose, dans ceux qui la font, sinon l’égalité de force, au moins l’opinion de cette égalité ; d’où naît le desir & l’espoir mutuel de le vaincre : or, dans l’état de société, si la balance n’est jamais parfaite entre les hommes, elle n’est pas non plus trop inégale : au contraire ; ou ils n’auroient rien à se disputer dans l’état de nature ; ou, si la nécessité les y obligeoit, on ne verroit que la foiblesse fuyant devant la force, des oppresseurs sans combat, & des opprimés sans résistance.

Voilà donc les hommes réunis & armés tout à la fois, s’embrassant d’un côté, si on peut parler ainsi ; & cherchant, de l’autre, à se blesser mutuellement. Les loix sont le lien, plus ou moins efficace, destiné à suspendre ou à retenir leurs coups. Mais l’étendue prodigieuse du globe que nous habitons, la nature différente des régions de la terre & des peuples qui la couvrent, ne permettant pas que tous les hommes vivent sous un seul & même gouvernement, le genre humain a dû se partager en un certain nombre d’états, distingués par la difference des loix auxquelles ils obéissent. Un seul gouvernement n’auroit fait, du genre humain, qu’un corps exténué & languissant, étendu sans vigueur sur la surface de la terre : les differens états sont autant de corps agiles & robustes, qui, en se donnant la main les uns aux autres, n’en forment qu’un, & dont l’action réciproque entretient par-tout le mouvement & la vie.

On peut distinguer trois sortes de gouvernemens ; le républicain, le monarchique, le despotique. Dans le