Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/76

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gurée depuis par tant de mauvais copistes, il en prend occasion de peindre, d’un trait de plume, l’ineptie des critiques, & le pédantisme des traducteurs, & finit par ces paroles dignes d’être rapportées : « Si les gens graves desiroient de moi quelque ouvrage moins frivole, je suis en état de les satisfaire. Il y a trente ans que je travaille à un livre de douze pages, qui doit contenir tout ce que nous sçavons sur la métaphysique, la politique & la morale, & tout ce que de très grands auteurs ont oublié dans les volumes qu’ils ont donnés sur ces sciences-là. »

Nous regardons comme une des plus honorables récompenses de notre travail, l’intérêt particulier que M. de Montesquieu prenoit à l’encyclopédie, dont toutes les ressources ont été jusqu’à présent dans le courage & l’émulation de ses auteurs. Tous les gens de lettres, selon lui, devoient s’empresser de concourir à l’exécution de cette entreprise utile. Il en a donnés l’exemple, avec monsieur de Voltaire, & plusieurs autres écrivains celebres. Peut-être les traverses que cet ouvrage a essuyées, & qui lui rappelloient les siennes propres, l’intéressoient-elles en notre faveur. Peut-être étoit-il sensible, sans s’en appercevoir, à la justice que nous avions osé lui rendre dans le premier volume de l’encyclopédie, lorsque personne n’osoit encore élever sa voix pour le défendre. Il nous destinoit un article, sur le Goût, qui a été trouvé imparfait dans ses papiers nous le donnerons en cet état au public, & nous le traiterons avec le même respect que l’antiquité témoigna autrefois pour les dernieres paroles de Séneque. La mort l’a empêché d’étendre plus loin ses bienfaits à notre égards ; &, en joignant nos propres regrets à ceux de l’Europe entiere, nous pourrions écrire sur son tombeau :

Finis vitæ ejus nobis luctuosus, PATRIÆ tristis, extraneis etiam ignotisque non sine cura fuit.
Tacit. in Agricol. c. 43.