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être qu’un tableau si étranger à nos mœurs ne parût trop languissant & trop uniforme, a cherché à l’animer par les peintures les plus riantes. Il transporte le lecteur dans des lieux enchantés, dont, à la vérité, le spectacle intéresse peu l’amant heureux, mais dont la description flatte encore l’imagination, quand les desirs sont satisfaits. Emporté par son sujet, il a répandu, dans sa prose, ce style animé, figuré & poétique, dont le roman de Télémaque a fourni parmi nous le premier modele. Nous ignorons pourquoi quelques censeurs du Temple de Gnide ont dit, à cette occasion, qu’il auroit eu besoin d’être en vers. Le style poétique, si on entend, comme on le doit, par ce mot, un style plein de chaleur & d’images, n’a pas besoin, pour être agréable, de la marche uniforme & cadencé de la versification : mais, si on ne fait consister ce style que dans une diction chargée d’épithetes oisives, dans les peintures froides & triviales des ailes & du carquois de l’Amour, & de semblables objets, la versification n’ajoutera presque aucun mérite à ces ornemens usés : on y cherchera toujours en vain l’ame & la vie. Quoi qu’il en soit, le Temple de Gnide étant une espece de poëme en prose, c’est à nos écrivains les plus célebres en ce genre à fixer le rang qu’il doit occuper : il mérite de pareils juges. Nous croyons, du moins, que les peintures de cet ouvrage soutiendroient avec succès une des principales épreuves des descriptions poétiques, celle de les représenter sur la toile. Mais ce qu’on doit sur-tout remarquer dans le Temple de Gnide, c’est qu’Anacréon même y est toujours observateur & philosophe. Dans le quatrieme chant, il paroît décrire les mœurs des Sibarites, & on s’apperçoit aisément que ces mœurs sont les nôtres. La préface porte sur-tout l’empreinte de l’auteur des Lettres Persanes. En présentant le Temple de Gnide comme la traduction d’un manuscrit Grec, plaisanterie défi-