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pertuis, tout malade qu’il étoit, a rendu lui-même à son ami ce dernier devoir, & n’a voulu se reposer sur personne d’un soin si cher & si triste. A tant de suffrages éclatans en faveur de M. de Montesquieu, nous croyons pouvoir joindre, sans indiscrétion, les éloges que lui a donnés, en présence de l’un de nous, le monarque même auquel cette académie célebre doit son lustre, prince fait pour sentir les pertes de la philosophie, & pour l’en consoler.

Le 17 février, l’académie Françoise lui fit, selon l’usage, un service solemnel, auquel, malgré la rigueur de la saison, presque tous les gens de lettres de ce corps, qui n’étoient point absens de Paris, se firent un devoir d’assister. On auroit dû, dans cette triste cérémonie, placer l’Esprit des loix sur son cercueil, comme on exposa autrefois, vis-à-vis le cercueil de Raphaël, son dernier tableau de la transfiguration. Cet appareil simple & touchant eût été une belle oraison funébre.

Jusqu’ici nous n’avons considéré M. de Montesquieu que comme écrivain & philosophe : ce seroit lui dérober la moitié de sa gloire, que de passer sous silence ses agrémens & ses qualités personnelles.

Il étoit, dans le commerce, d’une douceur & d’une gaieté toujours égales. Sa conversation étoit legere, agréable & instructive, par le grand nombre d’hommes & de peuples qu’il avoit connus. Elle étoit coupée, comme son style, pleine de sel & de saillies, sans amertume & sans satyre. Personne ne racontoit plus vivement, plus promptement, avec plus de grace & moins d’apprêt. Il sçavoit que la fin d’une histoire plaisante en est toujours le but ; il se hâtoit donc d’y arriver, & produisoit l’effet sans l’avoir promis.

Ses fréquentes distractions ne le rendoient que plus aimable ; il en sortoit toujours par quelque trait inattendu, qui réveilloit la conversation languissante : d’ailleurs, elles n’étoient jamais ni jouées, ni choquantes,