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vrage ; enfin, par le genre de vie qu’on le forçoit de mener à Paris, & qu’il sentoit lui être funeste. Mais l’empressement avec lequel on recherchoit sa société étoit trop vif, pour n’être pas quelquefois indiscret ; on vouloit, sans s’en appercevoir, jouir de lui aux dépens de lui-même. A peine la nouvelle du danger où il étoit se fut-elle répandue, qu’elle devint l’objet des conversations & de l’inquiétude publique. Sa maison ne désemplissoit point de personnes de tout rang qui venoient s’informer de son état ; les unes par un intérêt véritable, les autres pour s’en donner l’apparence, ou pour suivre la foule. Sa Majesté, pénétrée de sa perte que son royaume alloit faire, en demanda plusieurs fois des nouvelles ; témoignage de bonté & de justice, qui n’honore pas moins le monarque que le sujet. La fin de M. de Montesquieu ne fut point indigne de sa vie. Accablé de douleurs cruelles, éloigné d’une famille à qui il étoit cher, & qui n’a pas eu la consolation de lui fermer les yeux, entouré de quelques amis, & d’un plus grand nombre de spectateurs, il conserva, jusqu’au dernier moment, la paix & l’égalité de son ame. Enfin, après avoir satisfait avec décence à tous ses devoirs, plein de confiance en l’être éternel auquel il alloit se rejoindre, il mourut avec la tranquillité d’un homme de bien, qui n’avoit jamais consacré ses talens qu’à l’avantage de la vertu & de l’humanité. La France & l’Europe le perdirent le 10 février 1755, à l’âge de soixante-six ans révolus.

Toutes les nouvelles publiques ont annoncé cet événement comme une calamité. On pourroit appliquer à M. de Montesquieu ce qui a été dit autrefois d’un illustre Romain ; que personne, en apprenant sa mort, n’en témoigna de joie ; que personne même ne l’oublia dès qu’il ne fut plus. Les étrangers s’empresserent de faire éclater leurs regrets ; & milord Chesterfield, qu’il suffit de nommer, fit imprimer dans un des papiers