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les, qui se répand insensiblement dans notre nation ; cette lumiere générale sur les principes du gouvernement, qui rend les peuples plus attachés à ce qu’ils doivent aimer. Ceux qui ont si indécemment attaqué cet ouvrage, lui doivent peut-être plus qu’ils ne s’imaginent. L’ingratitude, au reste, est le moindre reproche qu’on ait à leur faire. Ce n’est pas sans regret & sans honte pour notre siecle, que nous allons les dévoiler ; mais cette histoire importe trop à la gloire de M. de Montesquieu, & à l’avantage de la philosophie, pour être passée sous silence. Puisse l’opprobre, qui couvre enfin ses ennemis, leur devenir salutaire !

A peine l’Esprit des loix parut-il, qu’il fut recherché avec empressement, sur la réputation de l’auteur : mais, quoique M. de Montesquieu eût écrit pour le bien du peuple, il ne devoit pas avoir le peuple pour juge : la profondeur de l’objet étoit une suite de son importance même. Cependant les traits qui étoient répandus dans l’ouvrage, & qui auroient été déplacés s’ils n’étoient pas nés du fond du sujet, persuaderent à trop de personnes qu’il étoit écrit pour elles. On cherchoit un livre agréable ; & on ne trouvoit qu’un livre utile, dont on ne pouvoit d’ailleurs, sans quelque attention, saisir l’ensemble & les détails. On traita légérement l’Esprit des loix ; le titre même fut un sujet de plaisanterie[1] ; enfin, l’un des plus beaux monumens littéraires qui soient sortis de notre nation, fut regardé d’abord par elle avec assez d’indifférence. Il fallut que les véritables juges eussent eu le temps de lire : bientôt ils ramenerent la multitude, toujours prompte à changer d’avis. La partie du public qui enseigne dicta à la partie qui écoute ce qu’elle devoit penser & dire ; & le suffrage des hommes éclairés, joint aux échos

  1. M. de Montesquieu, disoit-on, devoit intituler son livre : De l’esprit sur les loix.