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ce que la prise de Carthage, les défaites de Philippe, d’Antiochus & de Persée, avoient décidé. Jamais guerre ne fut plus funeste : & les deux partis ayant une grande puissance & des avantages mutuels, les peuples de la Grece & de l’Asie furent détruits, ou comme amis de Mithridate, ou comme ses ennemis. Délos fut enveloppée dans le malheur commun. Le commerce tomba de toutes parts : il falloit bien qu’il fût détruit ; les peuples l’étoient.

Les Romains, suivant un systême dont j’ai parlé ailleurs[1], destructeurs pour ne pas paroître conquérans, ruinerent Carthage & Corinthe : &, par une telle pratique, ils se seroient peut-être perdus, s’ils n’avoient pas conquis toute la terre. Quand les rois de Pont se rendirent maîtres des colonies Grecques du Pont-Euxin, ils n’eurent garde de détruire ce qui devoit être la cause leur grandeur.


CHAPITRE XIII.

Du génie des Romains pour la marine.


Les Romains ne faisoient cas que des troupes de terre, dont l’esprit étoit de rester toujours ferme, de combattre au même lieu, & d’y mourir. Ils ne pouvoient estimer la pratique des gens de mer, qui se présentent au combat, fuient, reviennent, évitent toujours le danger, emploient la ruse, rarement la force. Tout cela n’étoit point du génie des Grecs[2], & étoit encore moins de celui des Romains.

Ils ne destinoient donc à la marine que ceux qui n’é-


  1. Dans les considérations sur les causes de la grandeur des Romains.
  2. Comme l’a remarqué Platon, liv. IV. des loix.