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Pour lors, il forma le dessein d’unir les Indes avec l’occident par un commerce maritime, comme il les avoit unies par des colonies qu’il avoit établies dans les terres.

Il fit conduire une flotte sur l’Hydaspe, descendit cette riviere, entra dans l’Indus, & navigea jusqu’à son embouchure. Il laissa son armée & sa flotte à Patale ; alla lui-même avec quelques vaisseaux reconnoître la mer ; marqua les lieux où il voulut que l’on construisît des ports, des havres, des arcenaux. De retour à Patale il se sépara de sa flotte, & prit la route de terre, pour lui donner du secours, & en recevoir. La flotte suivi la côte depuis l’embouchure de l’Indus, le long du rivage des pays des Orittes, des Icthyophages, de la Caramanie & de la Perse. Il fit creuser des puits, bâtir des villes ; il défendit aux Ichtyophages[1] de vivre de poisson ; il vouloit que les bords de cette mer fussent habités par des nations civilisées. Néarque & Onésicrite ont fait le journal de cette navigation, qui fut de dix mois. Ils arriverent à Suse ; ils y trouverent Alexandre qui donnoit des fêtes à son armée.

Ce conquérant avoit fondé Alexandrie, dans la vue de s’assurer de l’Égypte : c’étoit une clef pour l’ouvrir, dans le lieu même où les rois ses prédécesseurs avoient une clef pour la fermer[2] : & il ne songeoit point à un commerce dont la découverte de la mer des Indes pouvoit seule lui faire naître la pensée.


  1. Ceci ne sçauroit s’entendre de tous les icthyophages, qui habitoient une côte de dix mille stades. Comment Alexandre auroit-il pu leur donner la subsistance ? Comment se seroit-il fait obéir ? Il ne peut être ici question que de quelques peuples particuliers. Néarque, dans le livre rerum indicarum, dit qu’à l’extrémité de cette côte, du côte de la Perse, il avoit trouvé les peuples moins icthyophages. Je croirois que l’ordre d’Alexandre regardoit cette contrée, ou quelque autre encore plus voisine de la Perse.
  2. Alexandrie fut fondée dans une plage appellée Racotis. Les anciens rois y tenoient une garnison, pour défendre l’entrée du pays aux étrangers, & surtout aux Grecs, qui étoient, comme on sçait, de grands pyrates. Voyez Pline, liv. VI, chap. X ; & Strabon, liv. XVIII.