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rompre ce que son opulence lui avoit laissé de mœurs. Elle érigea un temple à Vénus, où plus de mille courtisanes furent consacrées. C’est de ce séminaire que sortirent la plupart de ces beautés célebres dont Athénée a osé écrire l’histoire.

Il paroît que, du temps d’Homere, l’opulence de la Grece étoit à Rhodes, à Corinthe & à Orcomene. "Jupiter, dit-il[1], aima les Rhodiens, & leur donna des grandes richesses." Il donne à Corinthe[2] l’épithete de riche.

De même, quand il veut parler des villes qui ont beaucoup d’or, il cite Orcomene[3], qu’il joint à Thebes d’Égypte. Rhodes & Corinthe conserverent leur puissance, & Orcomene la perdit. La position d’Orcomene, près de l’Hellespont, de la Propontide & du Pont-Euxin, fait naturellement penser qu’elle tiroit ses richesses d’un commerce sur les côtes de ces mers, qui avoient donné lieu à la Bible de la toison d’or. Et effectivement le nom de Miniares est donné à Orcomene[4] & encore aux Argonautes. Mais, comme dans la suite ces mers devinrent plus connues ; que les Grecs y établirent un très-grand nombre de colonies ; que ces colonies négocierent avec les peuples barbares ; qu’elles communiquerent avec leur métropole ; Orcomene commença à décheoir, & elle rentra dans la foule des autres villes Grecques.

Les Grecs, avant Homere, n’avoient gueres négocié qu’entre eux, & chez quelque peuple barbare ; mais ils étendirent leur domination, à mesure qu’ils formerent de nouveaux peuples. La Grece étoit une grande péninsule dont les caps sembloient avoir fait reculer les mers, & les golfes s’ouvrir de tous côtés, comme pour les recevoir encore. Si l’on jette les yeux sur la Grece, on verra, dans un pays assez resserré, une vaste étendue de côtes. Ses colonies innombrables faisoient une

  1. Iliade, liv. II.
  2. Ibid.
  3. Ibid. liv. I, vers. 381. Voyez Strabon, liv. IX, p. 414, édition de 1620.
  4. Strabon, liv. IX, p.414.