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pas, car une infinité de rivieres y descendent du mont Caucase : mais ce Caucase, qui forme le nord de l’isthme, & qui étend des especes de bras[1] au midi, auroit été un grand obstacle, sur-tout dans ces temps-là, où l’on n’avoit point l’art de faire des écluses.

On pourroit croire que Séleucus vouloit faire la jonction des deux mers dans le lieu même où le czar Pierre I l’a faite depuis, c’est-à-dire, dans cette langue de terre où le Tanaïs s’approche du Volga : mais le nord de la mer Caspienne n’étoit pas encore découvert.

Pendant que, dans les empires d’Asie, il y avoit un commerce de luxe ; les Tyriens faisoient par toute la terre un commerce d’économie. Bochard a employé le premier livre de son Chanaan à faire l’énumération des colonies qu’ils envoyerent dans tous les pays qui sont près de la mer ; ils passerent les colonnes d’Hercule, & firent des établissemens[2] sur les côtes de l’océan.

Dans ces temps-là, les navigateurs étoient obligés de suivre les côtes, qui étoient, pour ainsi dire, leur boussole. Les voyages étoient longs & pénibles. Les travaux de la navigation d’Ulysse ont été un sujet fertile pour le plus beau poëme du monde, après celui qui est le premier de tous.

Le peu de connoissance que la plupart des peuples avoient de ceux qui étoient éloignés d’eux, favorisoit les nations qui faisoient le commerce d’économie. Elles mettoient dans leur négoce les obscurités qu’elles vouloient : elles avoient tous les avantages que les nations intelligentes prennent sur les peuples ignorans.

L’Égypte éloignée, par la religion & par les mœurs, de toute communication avec les étrangers, ne faisoit gueres de commerce au-dehors : elle jouissoit d’un terrein fertile & d’une extrême abondance. C’étoit le Japon de ces temps-là : elle se suffisoit à elle-même.

Les Egyptiens furent si peu jaloux du commerce du dehors, qu’ils laisserent celui de la mer rouge à toutes


  1. Voyez Strabon, liv. XI.
  2. Ils fonderent Tartese, & s’établirent à Cadix.