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mieres ont toutes sortes de commodités pour la vie, & peu de besoins ; les secondes ont beaucoup de besoins, & peu de commodités pour la vie. Aux unes, la nature a donné beaucoup, & elles ne lui demandent que peu ; aux autres, la nature donne peu, & elles lui demandent beaucoup. L’équilibre se maintient par la paresse qu’elle a donné aux nations du midi, & par l’industrie & l’activité qu’elle a donnée à celles du nord. Ces dernieres sont obligées de travailler beaucoup ; sans quoi, elles manqueroient de tout, & deviendroient barbares. C’est ce qui a naturalisé la servitude chez les peuples du midi : comme il peuvent aisément se passer de richesses, ils peuvent encore mieux se passer de liberté. Mais les peuples du nord ont besoin de la liberté, qui leur procure plus de moyens de satisfaire tous les besoins que la nature leur a donnés. Les peuples du nord sont donc dans un état forcé, s’ils ne sont libres ou barbares : presque tous les peuples du midi sont, en quelque façon, dans un état violent, s’ils ne sont esclaves.


CHAPITRE IV.

Principale différence du commerce des anciens, d’avec celui d’aujourd’hui.


Le monde se met, de temps en temps, dans des situations qui changent le commerce. Aujourd’hui le commerce de l’Europe se fait principalement du nord au midi. Pour lors la différence des climats fait que les peuples ont un grand besoin des marchandises les uns des autres. Par exemple, les boissons du midi portées au nord forment une espece de commerce que les anciens n’avoient gueres. Aussi la capacité des vaisseaux, qui se mesuroit autrefois par muids de bled, se mesure-t-elle aujourd’hui par tonneaux de liqueurs.

Le commerce ancien que nous connoissons se faisant d’un port de la méditerranée à l’autre, étoit presque tout