Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/55

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’Allemagne, il passa en Italie. Il vit à Venise le fameux Law, à qui il ne restoit, de sa grandeur passée, que des projets heureusement destinés à mourir dans sa tête, & un diamant qu’il engageoit pour jouer aux jeux de hasard. Un jour la conversation rouloit sur le fameux systême que Law avoit inventé ; époque de tant de malheurs & de fortunes, & sur-tout d’une dépravation remarquable dans nos mœurs. Comme le parlement de Paris, dépositaire immédiat des loix dans les temps de minorité, avoit fait éprouver au ministre Ecossois quelque résistance dans cette occasion, M. de Montesquieu lui demanda pourquoi on n’avoit pas essayé de vaincre cette résistance par un moyen presque toujours infaillible en Angleterre, par le grand mobile des actions des hommes, en un mot, par l’argent. Ce ne sont pas, répondit Law, des génies aussi ardens & aussi généreux que mes compatriotes ; mais ils sont beaucoup plus incorruptibles.

Nous ajouterons, sans aucun préjugé de vanité nationale, qu’un corps libre pour quelques instans doit mieux résister à la corruption, que celui qui l’est toujours : le premier, en vendant sa liberté, la perd ; le second ne fait, pour ainsi dire, que la prêter, & l’exerce même en l’engageant. Ainsi les circonstances & la nature du gouvernement sont les vices & les vertus des nations.

Un autre personnage non moins fameux, que monsieur de Montesquieu vit encore plus souvent à Venise, fut le comte de Bonneval. Cet homme, si connu par ses aventures qui n’étoient pas encore à leur terme, & flatté de converser avec un juge digne de l’entendre, lui faisoit avec plaisir le détail singulier de sa vie, le récit des actions militaires où il s’étoit trouvé, le portrait des généraux & des ministres qu’il avoit connus. M. de Montesquieu se rappelloit souvent ces conversations, & en racontoit différens traits à ses amis.

Il alla de Venise, à Rome. Dans cette ancienne ca-