Page:Montesquieu - Esprit des Lois - Tome 1.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses marchandises qu’à une seule nation, sous prétexte qu’elle les prendra toutes à un certain prix. Les Polonois ont fait, pour leur bled, ce marché avec la ville de Dantzik ; plusieurs rois des Indes ont de pareils contrats, pour les épiceries, avec les Hollandois[1]. Ces conventions ne sont propres qu’à une nation pauvre, qui veut bien perdre l’espérance de s’enrichir, pourvu qu’elle ait une subsistance assurée ; ou à des nations dont la servitude consiste à renoncer à l’usage des choses que la nature leur avoit données, ou à faire sur ces choses un commerce désavantageux.


CHAPITRE X.

Etablissement propre au commerce d’économie.


DANS les états qui font le commerce d’économie, on a heureusement établi des banques, qui, par leur crédit, ont formé de nouveaux signes des valeurs. Mais on auroit tort de les transporter dans les états qui font le commerce de luxe. Les mettre dans des pays gouvernés par un seul, c’est supposer l’argent d’un côté ; & de l’autre la puissance : c’est-à-dire, d’un côté, la faculté de tout avoir sans aucun pouvoir, &, de l’autre, le pouvoir avec la faculté de rien du tout. Dans un gouvernement pareil, il n’y a jamais eu que le prince qui ait eu, ou qui ait pu avoir un trésor ; &, par-tout où il y en a un, dès qu’il est excessif, il devient d’abord le trésor du prince.

Par la même raison, les compagnies de négocians, qui s’associent pour un certain commerce, conviennent rarement au gouvernement d’un seul. La nature de ces compagnies est de donner aux richesses particulieres la

  1. Cela fut premiérement établi par les Portugais. Voyages de François Pirard, chap. XV, part. II.